Repères

Les institutions musicales

L’Académie royale de musique

Après quelques essais d’implantation de l’opéra italien en France par Mazarin, durant la jeunesse de Louis XIV, Pierre Perrin et Robert Cambert entament une réflexion sur la création d’un opéra « français » dans leur pastorale Pomone (1671) donnée sur un théâtre dédié à ce nouveau genre de spectacle, l’Académie royale de musique. Cette nouvelle académie, instituée en 1669 par le roi, s’ajoute aux précédentes et notamment à l’Académie royale de danse (1661). Lieu d’interprétation, elle regroupe toutes les forces nécessaires pour représenter des spectacles ambitieux : orchestre, chœur, chanteurs solistes, danseurs professionnels, machinistes, costumiers et décorateurs.

En 1671, l’Académie royale passe aux mains de Jean-Baptiste Lully, le véritable artisan de la création de l’opéra français. Sous l’impulsion de Louis XIV et avec son soutien, il imagine un spectacle total mêlant à parts égales la poésie, la musique, la danse et la machinerie de théâtre. Le nouveau genre ainsi créé, la tragédie en musique, domine la scène française jusqu’au tournant du XIXe siècle, avant d’évoluer vers le Grand Opéra français au contact de l’esthétique romantique naissante. Le genre imaginé par Lully et perpétué par les générations suivantes tire ses racines tout autant de l’opéra italien (qu’on avait entendu au temps de Mazarin) que du ballet de cour (pratiqué depuis la fin du XVIe siècle), de la tragédie déclamée de Corneille et Racine, et de la comédie-ballet (dont Molière et Lully avaient donné les premiers exemples aboutis au début des années 1660). On y retrouve également le goût du chant orné pratiqué dans les salons et la pompe orchestrale des Vingt-Quatre Violons du roi.
Chaque année à compter de 1672, Lully donne un nouvel ouvrage, généralement à l’occasion des fêtes de carnaval, en collaboration avec des poètes, des machinistes-décorateurs, des costumiers et des chorégraphes prestigieux : Quinault, Bérain, Vigarani, Beauchamp… Parallèlement, le compositeur s’emploie à former les interprètes pour servir au mieux son projet : de l’orchestre au chœur, en passant par les solistes du chant et de la danse, tous sont stimulés par l’ambition du surintendant et repoussent les limites de leur art.

À sa mort, en 1687, l’Opéra de Paris peut s’enorgueillir d’être le premier théâtre d’Europe, place qu’il occupe pendant presque deux siècles. Le gendre de Lully, Francine, obtient le privilège de l’institution en 1687. L’Opéra se développe grâce à l’ouverture des premières succursales (Lyon, Lille, Bordeaux ou Rouen). Francine fait jouer des œuvres Marais, Charpentier ou Desmarest. Malgré le soutien de Louis XIV, l’entreprise n’est guère florissante. Francine ne réussissant pas à rendre l’institution rentable se retire en 1728 et cède la place à André Cardinal Destouches, musicien de la Cour.

Globalement en déficit tout au long du XVIIIe siècle, l’Académie royale ne cesse d’évoluer pour plaire à son public. D’abord en inventant de nouveaux genres comme l’opéra-ballet, la pastorale, la comédie lyrique, les fragments ou le ballet d’action ; ensuite en tentant de s’attacher les meilleurs compositeurs (Campra, Rameau, Mondonville, Gluck, Grétry) ; enfin en proposant des spectacles de plus en plus sophistiqués, notamment du point de vue des machines et des décors. Ajoutons par ailleurs que l’Académie royale de musique a un droit de préemption qui lui permet de réquisitionner dans les maîtrises, les concerts, les académies et même les régiments de tout le royaume, les artistes qui paraissent les plus prometteurs. Malgré ce souci de rester en phase avec l’évolution du goût, la structure même de l’Académie royale l’oblige à un certain conservatisme : d’abord par la présence d’une troupe, d’un chœur, d’un orchestre et d’un corps de ballet permanent ; ensuite par la logique de reprises des productions à succès, dont les décors et les costumes sont exploités sur une très longue période. C’est pourquoi les créations alternent avec les remises au théâtre, ce qui vaut aux œuvres à succès d’être jouées pour certaines durant près d’un siècle : citons Armide et Persée de Lully, Les Fêtes vénitiennes de Campra, Les Fêtes grecques et romaines de Colin de Blamont, Pyrame et Thisbé de Francœur et Rebel ou Les Éléments de Lalande et Destouches.

L’Académie royale est chargée de la majorité des spectacles de la Cour, notamment pendant les voyages à Fontainebleau ou à Choisy : les principaux solistes sont alors remplacés à Paris par leurs doubles, ce qui n’est guère attractif pour le public qui déserte alors ce spectacle. Installé dans une aile du Palais-Royal dès l’origine, le théâtre de l’Académie royale est très peu modifié jusqu’à son premier incendie en 1763. Il faut attendre 1770 pour qu’une nouvelle salle soit inaugurée, sur les ruines de la précédente. Un nouvel incendie détruit ce théâtre en 1781 ; l’Académie déménage dans une salle installée dans le quartier de la Porte Saint-Martin, où elle reste jusqu’à la Révolution. Jalouse de ses privilèges et surtout de son répertoire, l’Académie royale se heurte à maintes reprises aux autres théâtres de la capitale, qu’il s’agisse de la Comédie-Française, de l’Opéra-Comique ou des spectacles forains. À son époque, Rameau est la principale ressource économique de l’institution : durant certaines années (notamment vers 1745), les seules créations sont signées de sa main, alternant avec des reprises de ses grands succès. Des cabales voulurent même interdire qu’on donnât plus d’un opéra de Rameau chaque saison. Il n’empêche : au moment de la Querelle des Bouffons (1752-54) qui ébranle l’Académie, son fonctionnement, ses artistes et son répertoire, Rameau est l’une des seules figures à ne subir aucune attaque personnelle des concerts de la reine Marie Leczinska.

 Les concerts de la reine Marie Leczinska représentent, sous le règne de Louis XV, la plus active des « institutions » musicales de la Cour, avec en moyenne deux à trois concerts donnés chaque semaine dans les appartements sous la conduite du surintendant de semestre. Les séances débutent dès l’arrivée de la reine à Versailles, en 1725 et se maintiennent à cette périodicité jusqu’à une date avancée du règne. Jusqu’en 1755, le Mercure en dresse un compte-rendu mensuel détaillé, précieux témoignage de cette activité musicale de la Cour. Cependant, vers 1760, leur fréquence diminue au profit d’autres divertissements : différentes sources les signalent encore, de manière plus lacunaire. En 1763, Papillon de La Ferté note que les musiciens de la Cour sont tenus à un rythme de travail rendu exténuant, par la présence journalière qu’impose le « service des spectacles et des répétitions, ainsi que de la Chapelle et des concerts de la reine ». Pourtant, la fréquence des séances musicales doivent avoir considérablement baissé pour que les frères Bêche puissent noter après la mort de Marie Leczinska : « Feu la reine n’avait plus de concert chez elle ». Les concerts suivent la Cour lors des voyages : une partie des musiciens s’installent alors à proximité des demeures royales afin de rendre l’organisation plus aisée. Le répertoire musical est essentiellement composé d’extraits d’opéras dont on joue, à chaque séance, un ou deux actes (les concerts d’été étaient plus courts). Une tragédie lyrique occupe ainsi trois séances consécutives ; un opéra-ballet deux. Les ouvrages anciens sont privilégiés, notamment ceux de Lully. Les Surintendants font les Éléments de Lalande et Destouches ou Les Fêtes grecques et romaines de Colin de Blamont).

Rameau vient y diriger lui-même un de ses ouvrages, Castor & Pollux, honneur partagé par Royer et Campra. Si les concerts se jouent dans un espace relativement exigüe, le Salon de Mars puis le Salon de la Paix, ils ne réunissent pourtant pas moins d’une cinquantaine de musiciens (répartis entre les chœurs et l’ensemble instrumental) en plus des nombreux solistes. Les extraits d’opéras se voient régulièrement rehaussés par l’exécution d’ariettes, de cantatilles ou de cantates virtuoses permettant l’audition ou les débuts de jeunes voix prometteuses. C’est avec l’arrivée de Marie-Josèphe de Saxe que les programmes laissent une place de plus en plus importante à la musique moderne et aux compositeurs étrangers. De Rameau on ne connaît que 12 exécutions recensées de 8 titres parmi les plus connus : Hippolyte & AricieLes Indes galantes (4 fois), Castor & PolluxLes Fêtes d’Hébé (2 fois), Dardanus (2 fois), Les Fêtes de l’Hymen & de l’AmourZoroastre et Pygmalion. Marie-Josèphe de Saxe se montre curieuse d’entendre la musique de ce compositeur. Restée à Versailles en 1750 durant un voyage de la Cour, elle fait jouer coup sur coup ZoroastreLes Indes galantes, et Dardanus par quelques musiciens de la Chambre et de l’Opéra.

Le Concert Spirituel

Cette institution musicale est créée en 1725 par Anne Danican Philidor, désireux d’offrir au public parisien des concerts de musique sacrée et instrumentale pendant les périodes saintes, au cours desquelles les spectacles de Paris ferment immuablement. L’enjeu – autant artistique que commercial – est d’importance : on estime le Concert Spirituel « nécessaire à Paris pour aider une infinité de personnes à porter le poids de leur désœuvrement, ou le vide que leur fait l’absence de spectacles ». La vingtaine de séances annuelles réunit un chœur, un orchestre et des solistes de grande qualité, mélange d’artistes de l’Académie royale de musique, de la Musique du roi et de quelques supplémentaires parisiens. La quarantaine d’interprètes des premières séances en 1725 atteint plus du double au début des années 1780. Dès 1727, la programmation s’ouvre à un répertoire plus large, intégrant de la musique vocale profane, principalement des cantates françaises, mais aussi des extraits d’opéras. L’institution acquiert rapidement une grande notoriété dans toute l’Europe, autant pour la qualité des interprètes programmés que pour la diversité du répertoire joué.

Dans les années 1740, le Concert Spirituel devient l’une des plaques tournantes de la création musicale en Europe : Mozart et beaucoup d’autres y font jouer leurs ouvrages, supplantant petit à petit les compositeurs de la cour versaillaise. Dans les années 1780, la programmation de chaque séance est très éclectique et fortement tournée vers l’étranger. « C’est le plus beau concert de l’Europe, et il peut fort aisément devenir le meilleur qu’il soit possible d’y former, etc. » (L’Esprit de l’Encyclopédie, 1772).

Tout au long du XVIIIe siècle, l’institution évolue parallèlement au goût du public. Vers 1780, les grands motets, qui forment au départ l’essentiel du répertoire musical, disparaissent presque totalement des programmes au profit de genres musicaux plus modernes comme la symphonie ou l’oratorio. De même, les interprètes français ont peu à peu cédé la place aux sopranos et aux castrats italiens, ou à des instrumentistes (clarinettistes, pianofortistes ou cornistes) venus de l’Est de l’Europe. Cette évolution est étroitement liée à une succession de directeurs soucieux de plaire à leur auditoire. Seule la Révolution met un terme à l’entreprise, l’une des plus florissantes de l’histoire de la musique en France. Dès l’origine, le Concert Spirituel est logé dans la salle dite « des Cent Suisses », située au premier étage du pavillon central des Tuileries. Les directions successives améliorèrent le confort des auditeurs – et des musiciens – grâce à quelques transformations.

Les Foires Saint-Germain et Saint-Laurent

Ces deux grandes foires de Paris se tiennent tous les ans du début de février au dimanche des Rameaux pour la première, et de la mi-juin à la fin septembre pour la seconde. Elles sont un lieu de rendez-vous prisé, réunissant toutes les classes sociales sans distinction. Dès l’origine, elles attirent les danseurs de cordes, marionnettistes et autres spectacles populaires.

C’est en 1697, avec la fermeture du Théâtre Italien, que débute l’histoire du Théâtre de la foire : les troupes foraines choisissent en effet de récupérer une partie de leur répertoire en français et font ériger une salle permanente. Aussitôt, les Comédiens-Français tentent de faire interdire leur entreprise. C’est le début d’innombrables querelles avec les théâtres à privilège de la capitale, qui durent tout au long du siècle. Au gré des interdictions, les comédiens forains imaginent l’usage de la pantomime, des pancartes, de la danse, de la marionnette et du vaudeville. En 1714, une société se crée sous l’intitulé de « nouvel opéra-comique », à l’origine du futur opéra-comique institué bien plus tard. En 1731, la construction d’une salle couverte dans l’enceinte des halles de la Foire Saint-Germain donne encore plus d’assise à ces spectacles.

Dès les années 1720, des poètes tels que Lesage, d’Orneval ou Fuselier imaginent des scénarios que Gillier ou Aubert puis Mouret ou Rameau mettent en musique. C’est l’époque où la parodie triomphe, qu’il s’agisse d’œuvres du répertoire de l’Académie royale de musique ou de la Comédie-Française. En 1734, Favart signe son premier livret et devient rapidement le maître de l’opéra-comique de cette période. Dans les années 1750, le répertoire se modifie profondément grâce à des auteurs comme Rousseau, Blavet ou Dauvergne qui préfèrent les ariettes aux vaudevilles. Cette évolution annonce l’ultime développement du genre qui, sous la plume de MonsignyPhilidorDuni et Grétry s’érigera au rang de spectacle lyrique à part entière, quittant la Foire pour un théâtre institutionnalisé sous le règne de Louis XVI.

D’après un texte de Benoît Dratwicki, directeur artistique du CMBV